F. Vallotton: Les Editions Rencontre 1950–1971

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Titel
Les Editions Rencontre 1950–1971.


Autor(en)
Vallotton, François
Reihe
Mémoire Editoriale - Cahier n°4
Erschienen
Lausanne 2004: Editions d'en bas
Anzahl Seiten
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Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Pierre Jeanneret

François Vallotton: Les Editions Rencontre 1950–1971. Lausanne, Editions d’en bas, 2004, 213 p.

Spécialiste de l’histoire éditoriale, F. Vallotton était particulièrement qualifié pour narrer et analyser celle de Rencontre. Il le fait avec bonheur, multipliant les angles d’approche et dégageant les composantes idéologiques, sociales, humaines, mais surtout économiques et littéraires de cette aventure éditoriale. On appréciera le soin qu’a eu l’auteur de replacer toujours cette expérience lausannoise dans son contexte suisse et européen. Il ne tombe pas dans le travers contre lequel met en garde Anne Simonin: «celui, en s’enfermant dans le cadre étroit d’une monographie, de se limiter à l’histoire interne de la maison en négligeant le monde culturel dans lequel il s’inscrivait» (Les Editions de Minuit 1942–1955, p. 8). Ainsi, l’extraordinaire envol de Rencontre (suivi d’une chute encore plus rapide) est lié à l’essor des clubs du livre dans les années d’après-guerre. Vallotton leur consacre quelques pages synthétiques éclairantes.

La naissance de la Coopérative Rencontre, le 16 juin 1950, est indissociable de la revue éponyme, animée par Yves Velan, Henri Debluë et Jean-Pierre Schlunegger, pour ne citer que ces trois grands noms des lettres romandes. Il s’agissait à l’origine de lancer une collection «vache à lait» (selon l’expression imagée du premier) pour assurer la pérennité de cette publication. Mais la rupture surviendra dès 1952, le grand artisan des Editions Rencontre, Pierre Balthasar de Muralt, ne se reconnaissant pas dans l’orientation militante – proche du Parti suisse du Travail – de la revue. «Idéologiquement», il s’affirmera cependant comme un héritier des Lumières, soucieux d’inciter à la lecture et d’ouvrir à la culture les couches les plus larges de la population, aussi bien par le biais des grands classiques que par celui des encyclopédies et des ouvrages de (bonne) vulgarisation. Les Editions Rencontre se caractériseront aussi par leur esprit social. Plus dure, pour les 1200 employés que compte la maison en 1970, sera la chute!

Sur le plan économique, F. Vallotton n’a pas eu la tâche facile. S’il était relativement aisé de dégager les causes du succès de l’entreprise, celles de son effondrement étaient plus difficiles à cerner. A fortiori les responsabilités personnelles des uns et des autres, en particulier celles de Pierre B. de Muralt lui-même. L’auteur reste très – peut-être trop – prudent sur ce point, où les mémoires individuelles, il est vrai, révèlent aujourd’hui encore des plaies à vif (voir la Postface de Muralt, pp. 175–181). L’auteur propose néanmoins une série d’explications d’ordre extrinsèque – répercussions des événements de Mai 68, dévaluation du franc français en 1969, et plus profondément les mutations des habitudes des consommateurs – mais surtout d’ordre intrinsèque. Dès les années 60, la coopérative initiale est entrée dans l’ère du capitalisme éditorial. En 1970, il n’y aura pas moins de 6 millions de livres vendus! Mais son succès même a entraîné Rencontre dans une sorte de «fuite en avant», ou dans une spirale progression – infrastructures – investissements à rentabiliser – surproduction/stocks d’invendus. Des décisions sans doute malheureuses comme le rachat, en 1967, d’une grande imprimerie de Mulhouse et celui de la revue Constellation vont précipiter la reprise de Rencontre par Musexport en 1970. Rencontre y perd son âme. Le livre n’est désormais plus qu’un produit parmi d’autres dans le catalogue de ses repreneurs, qui comprend même des casseroles et des tapis …

Mais plus intéressante encore à nos yeux (et probablement à ceux de l’auteur) que ses aspects économiques, c’est la dimension éditoriale, intellectuelle, culturelle de Rencontre qui est privilégiée dans le livre, cela même qui fait l’identité d’une maison. Celle-ci n’a cependant pas toujours été évidente pour tous! F. Vallotton – et nous lui donnons pleinement raison – s’inscrit en faux contre la condescendance élitaire qui a longtemps connoté les appréciations sur les «barbares» de Rencontre et les titres proposés, en comparaison notamment de ceux de la Guilde du Livre. Certes, la publication des oeuvres complètes des grands classiques (Balzac dès 1958, puis Hugo, Dostoïevski, Zola, etc.), malgré son ampleur, ne représentait pas un risque éditorial majeur. Mais n’a-t-elle pas mis les oeuvres du patrimoine littéraire mondial, sous la forme de livres à la présentation attrayante, bien reliés et surtout bien préfacés, à des prix extraordinairement bas, à la portée d’un public populaire qu’intimidait encore l’accès aux librairies? A côté de ces collections, on n’oubliera pas la place (trop modeste peut-être mais réelle) prise par Rencontre dans la publication des auteurs suisses contemporains: Haldas, Chappaz, Catherine Colomb, le sulfureux Walter Diggelmann, etc.

Plus que d’autres, les Editions Rencontre se sont caractérisées par leur esprit novateur. Pour preuve le projet EDMA (Encyclopédie du Monde actuel), dirigé par Charles-Henri Favrod. Avec ses fiches perforées faciles à mettre à jour, Muralt anticipait sur les développements de l’informatique. Rencontre fit aussi très tôt (trop tôt probablement!) le pari de l’audiovisuel, produisant notamment le film Le Chagrin et la Pitié de Marcel Ophuls, qui marqua un tournant dans la perception des années de l’Occupation. Toute intéressante qu’elle fût, cette diversification concourut cependant à l’échec économique.

Plus hasardeuse encore, on l’a vu, fut la reprise en 1967 de Constellation, revue de bonne tenue fondée en 1948; elle devait servir de pendant à Sélection (du Reader’s Digest) qui véhiculait une vision américaine très «guerre froide» du monde. L’historien breton Thierry Cottour lui consacre une trentaine d’excellentes pages dans une contribution annexe.

Entre F. Vallotton et le charismatique Pierre B. de Muralt, un courant de sympathie semble avoir passé. Si des critiques peuvent être adressées à l’entrepreneur et au gestionnaire, il convenait – et l’auteur a eu raison de le faire – de rendre un juste hommage à un éditeur romand audacieux. A l’instar d’Albert Mermoud (Guilde du Livre), de Bertil Galland, de Nils Andersson à La Cité, et de combien d’autres, disparus ou encore en activité, Pierre B. de Muralt a largement contribué à la diffusion de la culture dans notre pays et au-delà de ses frontières.

Citation:
Pierre Jeanneret: Compte rendu de: François Vallotton: Les Editions Rencontre 1950–1971. Lausanne, Editions d’en bas, 2004. Première publication dans: Revue suisse d’histoire, Vol. 56 Nr. 3, 2006, pages 364-366.

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Veröffentlicht am
13.01.2012
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Die Rezension ist hervorgegangen aus der Kooperation mit infoclio.ch (Redaktionelle Betreuung: Eliane Kurmann und Philippe Rogger). http://www.infoclio.ch/
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